Les yeux verts ouverts

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Il y a 9 ans, je suis arrivé en Suisse. Ma porte d'entrée au pays, c'était l'aéroport international de Genève. Mon image imaginaire de la Suisse s'est matérialisée avec l'image aérienne et presque irréelle du bord du lac Léman avec ses toitures carrées. 

La descente de vitesse et le bruit sec des pneumatiques me font vite comprendre qu'on a touché le sol. Quelques manœuvres après, une voix sur les haut-parleurs nous informe que “nous sommes arrivés à destination” et qu'on peut dégrafer le pôle à terre avec l'avion.

Le vol est arrivé avec 13 heures de retard à cause d'un problème de connexion entre Rome et Genève, j'ai donc quelques heures de plus de fatigue dans mon visage. 

Le son mécanique des roulettes pressées sur le tapis roulant me rappelle que depuis longtemps, quelqu'un m'a attendu de l'autre côté de l'aéroport.  

Le premier contact avec lui, on l'a fait à travers une vitre transparente du bureau de police de la douane. Il était avec ses yeux verts ouverts comme si la fatigue n'avait rien fait dans son espoir patient. Dans ce moment du premier contact, il y a une phrase qui est venue à ma tête comme une sorte de condamnation: “Esto no va a funcionar”. Ou en français: “ça ne va pas marcher”.

Un policier dans ce même moment était en train de faire l'autopsie de ma valise. Les objets que j'avais choisis comme accompagnants du voyage se présentaient en face de moi comme un être qui avait été tristement ouvert pour chercher la source de sa mort. 

Il y avait quelque chose qui lui manquait, à cet être, pour avoir une vie. L'espace restreint de ce cube à roulettes n'allait jamais avoir les organes nécessaires pour pouvoir donner vie a ces morceaux de passé exposés sur la table.

La phrase qui me vient maintenant en tête quand je pense a ce moment-là, c'est: “Esto no esta completo para funcionar”: “cela n'est pas complet pour pouvoir marcher”. 

Cet être-là cherchait sa vie dans les yeux verts ouverts. Il était déjà mort quand il est arrivé. Il attendait le souffle de vie d'une autre vie qui n'était pas la sienne. 


Cet être la, exposé sur la table, n'avais pas avec lui le souffle de la vie, les yeux verts ouverts qui attendent de l'autre côté de la fenêtre transparente du bureau de police de la douane ne l'avaient pas non plus. Mais, le souffle de la vie avait quand même pris le même avion, et lui aussi était arrivé avec 13 heures de retard, ce jour-là, et lui aussi était dans le même aéroport dans la même ville au même moment face au même policier et face aux yeux verts ouverts qui le regardent de l'autre côté de la fenêtre. 

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